Nos vies sont faites de continuités et de ruptures, de déjà vus et de nouveautés, de banalités et d’extraordinaires, d’inquiétudes et de quiétudes, de « j’aime » et de « j’aime pas ». Oui, tout ça c’est la vie. Pour ma part, à 43 ans j’ai entrepris de vivre tout cela sans m’attacher, sans rejeter, sans m’y soumettre, sans m’identifier… Il parait que tout est illusion et qu’il y a un « au-delà des apparences ». J’ai tenté l’aventure, j’ai sauté dans le vide, j’ai remis en cause toute ma vie, toutes mes pensées, toutes mes croyances, toutes mes bases. J’ai enlevé tout ce qui n’était pas vital, tout ce qui m’attachait à des désirs plus impulsifs et inconscients que pertinents. J’ai gardé maison, chauffage, nourriture, soins et activités bénéfiques (nos travails). J’ai coupé mes cheveux, arrêté les teintures et l’épilation, simplifié ma garde-robe, réduis la fascination pour mon corps en somme. Je me suis petit à petit retirée du monde (avec des « revival » sporadiques incontrôlés… Je n’ai jamais dit que tout avait été facile, sans rechutes !). Je me suis défaite des attributs du moi pour m’intérioriser et déraciner les impulsions inconscientes et les pensées illusoires. Je continue encore ce travail pour le reste de cette vie, voir plus, bien plus. Bref, j’ai cessé de vivre automatiquement et j’ai fait l’expérience de ma vie, en mode observateur d’abord puis en mode sagesse, quand l’expérience et le moi ne font plus qu’un, quand il n’y a plus dualité. Bon, je dois encore stabiliser mais c’est en bonne voie si je ne perd pas la vue juste en chemin.
J’ai perçu les limites que je pouvais atteindre du fait en partie de ne pas m’être retirée à 100% du monde (de ne pas être partie méditer dans une grotte en Himalaya ;-)). Ayant installée ma « grotte » à Bourges, j’y ai médité et étudié. J’ai fait l’expérience du lâcher-prise ici, du détachement de ce qui faisait « moi ». Un vrai sacerdoce exigent et jamais totalement abouti ! Oh je peux vous assurer que j’ai connu la peur, et même bien des peurs : peur de manquer, peur de me perdre, peur d’être bannie et déconsidérée, peur de ne plus exister, peur du vide, peur de l’inactivité, peur de ne plus être en lien, peur de ne plus me reconnaitre, peur de ne plus avoir d’identité fixe, peur de tout par moment… Se détacher de l’idée de soi est un travail ardu, effrayant même par bien des côtés. Mais c’est aussi une liberté sans limite, une liberté qui nous redonne notre pleine responsabilité et conscience sur ce que nous vivons. J’ai découvert qu’il est bien plus difficile d’être libre que d’être conforme et adaptée, tout en gagnant une paix de plus en plus stable, une authenticité grandissante, une compréhension exponentielle de soi et des autres, du monde, des mondes.
Etre libre c’est devoir à chaque instant agir en conscience, sans repère extérieur, sans justification culturelle ou légale à nos actes. Etre libre de toute identité, de toute posture sociale (si c’est totalement possible), c’est agir sur la base de notre sens de la vertu et des valeurs. Ce que je pense, dis, agis est-il vertueux ? Peu importe les conséquences à court terme, peu importe les dictats de la société, oser mettre le sens de la vertu avant tout, comme fondement de toutes nos expressions. C’est un saut dans le vide constant, où rien d’extérieur ne vient délimiter votre chemin, si ce n’est les enseignements de Bouddha pour ma part, ces enseignements qui ont été mes repères à chaque saut dans le vide : « Saute, c’est juste, le reste suivra » ; « Tu construit ton monde par tes pensées, change tes pensées » ; « N’attends rien, agis juste, la vie se mettra en ordre pour l’instant suivant » ; « Ce que tu vis est le résultat de tes actions passées ; ce qui tu vivras sera le résultat de tes actions présentes » ; « « Je » n’existe pas, n’aie pas peur de ne pas le satisfaire, suis la sagesse et continue malgré l’inconfort, ou mieux encore appuie toi sur l’inconfort pour être au plus près des illusions ».
Oui, il y a la vie, et il y a ce que nous choisissons de faire de notre vie. Il y a « je », et au-delà il y a la liberté, la non dualité, la sagesse absolue. Rien n’est terminé, rien n’est abouti, tout est à entretenir d’instant en instant, tout est impermanent, et d’autant plus notre état d’esprit. Avec un esprit vigilant, non dominé par l’idée de soi, ouvert au monde et aux phénomènes, à toutes ses réalités, un esprit libre et courageux, il y a une vie précieuse, consacrée à l’essentiel : faire de chaque instant une source d’éveil, de conscience illimitée, d’accueil inconditionnel, de sagesse pour aller au-delà de là où nous sommes déjà, pour emmener notre conscience au-delà de là où elle s’est arrêtée. Allez, on se lance dans le défi le plus valeureux qui soit : l’au-delà des apparences, encore au-delà, toujours au-delà.
Belles aventures ! Je vous assure que vous n’en manquerez pas ! C’est un voyage immobile permanent, fait d’impermanence et de mouvements.
Christelle Hauteville-Chadorla
Photo de Mathieu Ricard, tirée du livre Le voyage immobile