Devenir enfant de la sagesse

Le principal écueil de tout chemin spirituel, et du chemin bouddhiste tout particulièrement, est de happer à soi les enseignements, les enseignants, les manifestations et les réalisations. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’au lieu de nous-même abandonner notre monde actuel, notre façon de penser et de ressentir pour un autre monde, nous voulons prendre et amener à nous ce que nous découvrons sur le chemin spirituel, le faire descendre en nous, le faire entrer dans notre petit monde. La sagesse et les accomplissements devraient-être à notre service pour nous sortir de là où nous nous sommes mis tout seuls bien que nous ne voulions pas bouger de là, que nous voulions rester dans notre connu et notre concevable. Que se passe-t’il alors ? Ce n’est plus le chemin spirituel véritable que nous foulons, mais l’idée fantasmée que nous nous en faisons. Ce ne sont pas des réalisations que nous obtenons, mais des manifestations illusoires produites par notre propre esprit. En termes simples, un tel chemin spirituel est une illusion que nous alimentons à coup de Ouah ! et de Eurekas ! tout aussi factices les uns que les autres.

Le vrai chemin spirituel, et particulièrement le chemin bouddhiste, doit nous amener à ouvrir notre monde à plus grand, à réviser et refonder toutes nos bases, toutes nos croyances, toutes nos interactions, toutes nos projections. Ce chemin doit nous amener à réaliser que toutes nos pensées sont fausses car limitées. Comme un cobaye dans sa cage, il ne suffit pas d’arrêter de courir sans fin dans la roue, mais de voir la cage, de voir les limites de notre conscience au sein de cette cage et d’ouvrir notre conscience au-delà de la cage. Nous ne devons pas regarder le monde depuis notre cage non plus, car alors nous ne sommes que spectateurs. Nous ne devons pas non plus juste sortir de la cage et nous promener dans la pièce environnante. Certes c’est déjà une libération, mais ce n’est pas un chemin spirituel, et ce n’est surtout pas la totalité de ce qu’il y a à fouler. Nous contenter de sortir de la cage pour nous poser sur le sol devant est une triste façon de nous arrêter alors que nous pourrions aller n’importe où et voir l’étendue du monde, des mondes, des espaces, des possibles, des manifestations et des causes des manifestations. C’est comme un éléphant qui reste près du piquet où il était attaché bien que les liens n’existent plus.

Nous pensons avoir changé quelque chose alors que nous sommes toujours enfermé dans les limites de nos représentations : ne même pas avoir l’idée d’aller plus loin, d’explorer, de faire des expériences inconcevables, de bouger de là où nous sommes. Nous restons là où les circonstances et le karma nous ont placés. Nous naviguons à l’intérieur avec bien souvent le sentiment de progresser, de nous élever… Mais nous pouvons changer le décor, cela ne change pas notre niveau de conscience, quel que soit les histoires que nous puissions nous raconter au sujet de ce que nous projetons désormais. Projeter n’est pas une libération. La libération véritable est de ne plus projeter.

C’est un écueil que tous les apprentis-sages font au début du chemin, et parfois tout au long de leur cheminement. Comprendre qu’il ne faut pas suivre nos pensées, que nos concepts sont forcément limitants, est ardu et c’est un processus semé d’illusions et de mystifications. Nous nous racontons des histoires que nous croyons automatiquement, sans aucune remise en questions. Le processus même de pensées et de connaissances est à investiguer mais nous ne pensons pas à le faire.

Le premier pas réel du chemin bouddhiste et de tout chemin spirituel est d’arrêter de croire nos pensées, d’arrêter de suivre nos intuitions. Nos pensées ne sont que les résultats de nos tendances karmiques et de mémoires qui se rejouent. Nos intuitions sont elles limitées par notre ouverture d’esprit. Ce n’est pas parce que nous avons des visions ou des intuitions  que nous sommes un être spirituel, dans la sagesse. L’intuition n’est elle aussi qu’une conséquence de nos tendances karmiques. Il y a un au-delà. Et ce n’est pas parce que nous sommes plusieurs à partager les mêmes intuitions qu’elles ne sont pas limitées, qu’il n’y a pas plus subtil et plus sage.

Alors comment sortir de nos propres projections. Changer la forme de nos projections n’est pas suffisant. D’abord il s’agit de voir et comprendre que tout ce que nous pensons (pensées, intuitions, projections…) n’est que la conséquence de nos tendances karmiques. Aucune pensée n’est mieux qu’une autre en ce sens qu’elles ont toutes la même source limitée et perturbée : le karma. Ensuite, cette compréhension pourra nous amener à arrêter de les suivre. Pour cela, donner l’instruction à notre conscience sagesse de douter de tout. Dans ce travail de doute systématique(1) la conscience sagesse grandit et il devient possible de différencier la connaissance cognitive soumise au karma (liée au fonctionnement du cerveau et du plan mental) des connaissances transcendante et primordiale ou pure (voir les choses telles qu’elles se manifestent dans leurs formes pures, sans nos filtres, et dans les causes de ces manifestations, la vacuité).

Alors à vos marques, prêts…
Doutez de tout ce que vous pensez
Cessez de ramener le spirituel à votre petit monde
Explorez au-delà de votre monde habituel
Baroudez là où vous vous sentez perdus
Habituez-vous à ne pas savoir
Apprenez même de ce qui ne relève pas de votre façon d’être
Soyez curieux de ce qui n’est pas vous
Cessez de happer ce que vous aimez
Cessez de rejeter ce que vous n’aimez pas

Devenez enfant de la sagesse

Trinley Drolma


(1) Descartes l’a partiellement mis en oeuvre mais n’est pas allé jusqu’au bout comme Bouddha, et surtout n’a pas effectué le travail sur les croyances subtiles (en somme il y a des présupposés ténus qu’il n’a pas interrogés)

 

Image libre de droit (Pixabay)

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L’alliance de 2 belles cultures, française et bhoutanaise, unissant raison, spiritualité et sagesses bouddhistes, pour plus de lucidité et de conscience.

Egalement :
– Thérapeute, coache et formatrice en Libération émotionnelle, mentale et karmqiue, Enseignante en psychologie, philosophie et méditations bouddhistes à « Harmonie & Croissance intérieure » (site harmoniecroissance.com)
– Fondatrice, gérante, guide de méditation et soutien linguistique pour les enseignements philosophiques au centre culturel bouddhiste (site chadorla.fr)

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