Dans une compréhension subtile, chacun de nous est l’agglomération d’une multitude de tendances plus ou moins cohérentes entre elles. Certains sont dominés par des tendances de même nature donnant un semblant de stabilité dans leurs comportements et dans leur caractère. D’autres sont un assemblage de tendances disparates, allant de tout à son contraire, donnant une impression d’instabilité et d’inconstance. Une grande paix côtoie des mouvements de colère et d’agacement soudain. L’ouverture se referme sous l’effet des peurs limitant tout mouvement. La confiance s’étiole sous une envie d’aller se cacher, s’isoler ou encore disparaitre. La générosité s’arrête sous une peur de manquer. La sagesse s’éteint du fait de pensées et perceptions ordinaires. L’amour altruiste s’oublie pour quelques avantages personnels perçus indispensables le temps d’un égarement. Les plus belles qualités sont voilées, par instant ou pour longtemps, par des mouvements internes perturbateurs et obstructeurs.
Si nous sortons de la croyance en un soi fixe vivant et orchestrant tout ce qui se manifeste en son sein, alors la perception de parties autonomes grandit, comme un paquet rempli de tendances, émotions, croyances, mémoires, karmas, kleshas… de toute nature. La conscience grossière peut encore penser que le contenant (le paquet) est Soi, tentant tant bien que mal de rendre le contenu cohérent, de donner du sens et de construire un devenir au package. Pourtant le package n’est qu’une agglomération temporaire de tendances. Dans cette compréhension subtile, plutôt que chercher à contrôler le contenu et faire perdurer le paquet en entier, nous visons à libérer les éléments perturbateurs du package les uns après les autres jusqu’à libérer le package entier, contenu et contenant. C’est l’éveil. Pour cela, chaque instant de la vie est consacré à prendre conscience de ce qui se joue dans le package, quel élément s’anime et sous quelles conditions, à voir les choses telles qu’elles sont, au-delà des pensées et perceptions ordinaires, dans la sagesse la plus pure possible. Dans cette pure sagesse, chaque élément et les mouvements qu’il crée se purifient, lâchent. Cela s’appelle « Poser la conscience à l’intérieur, la conscience dépose l’antidote ». La colère laisse place à la paix, la pensée ordinaire à la sagesse, la peur au laisser-être, la rationalisation à ce qui est, l’égocentrisme à la vision globale, le doute à la connaissance…
Alors oui, dans ce processus constant de libération, nous sommes pris plus ou moins longtemps dans des énergies sclérosantes, limitantes, obscurcissantes, ignorantes, manipulantes, fatigantes…, le temps pour la conscience de connaitre et de libérer. Mais pas seulement. La conscience devient de plus en plus pure, les perturbations de moins en moins prégnantes, solides. Tout lâche de plus en plus rapidement. Tout peut être confronté avec douceur, patience et amour. En même temps, les libérations se font sur des plans de plus en plus subtils où la raison et les causes / conséquences n’ont pas cours. Cela demande une présence ouverte, de la non conceptualisation en accueillant ce qui vient sans hypothèse, sans mettre du sens, en laissant les informations se révéler d’elles-mêmes à la conscience, sans rattraper mentalement. En cela, le processus de libération peut être perçu comme de plus en plus difficile, car sans repère, sans base connue pour nommer ni reconnaitre. De la sagesse pure à accueillir d’instant en instant. Mais c’est une difficulté relative, la conscience étant libérée des tourments d’avant, la paix étant plus grande et stable, la sagesse étant de plus en plus claire, le calme étant toujours là comme le calme des fonds marins malgré les vagues déferlantes. Ce sont des changements de niveau de conscience à accueillir en acceptant de perdre les repères précédents et d’abandonner les croyances et vérités des plans plus grossiers.
Dans cette perte de repères, dans ces changements constants et dans cette non identification à ce qui se passe, la notion de soi s’efface progressivement. Nous voyons notre corps se figer, s’assombrir, être marqué par les épreuves ou se gonfler selon les tendances qui se manifestant puis s’assouplir, s’illuminer et rayonner une fois libérées. Nous observons le processus se reproduire encore et encore, avec un calme intérieur, une sagesse, une joie et un amour de plus en plus vastes, stables et non discriminants.
En nous percevant comme un paquet rempli de tendances, nous cessons de nous identifier et tout peut être transformé, transcendé, libéré car rien n’est réellement nous.
Trinley Drolma