Un monde perçu insupportable et ses conséquences

Au fil des libérations, les causes des causes des causes… apparaissent. Notre vue intérieure devient de plus en plus subtile et notre mode de fonctionnement est mis à nu avec force détails et véracité. Nous touchons aux fondements de notre constitution. Même si le calme grandit, ainsi que la patience, la clarté, la joie, la bienveillance, l’auto-dérision, la confiance, le courage, la persévérance, la tolérance, l’humilité et bien d’autres qualités, il n’en demeure pas moins que des mouvements automatiques sont encore présents dans notre esprit. Vous savez, ces mouvements incontrôlables comme l’agacement, l’impatience, l’agitation, l’envie d’occulter et de se raconter des histoires, la fuite, le désir, le rejet, l’auto-protection, la défense de soi, l’envie de gagner ou d’avoir raison… toutes ces choses s’élevant à l’insu de notre conscience et créant ces mouvements qui nous emportent. Nous ne pouvons que constater après coup que nous l’avons encore fait malgré notre engagement précédent à ne plus nous comporter ainsi. C’est ce que l’on appelle la force de l’habitude. L’esprit ayant répété tant et tant de fois ces scenarii qu’il les rejoue encore et encore.

Voir est la première étape pour s’en libérer. Mais il faut parfois du temps, parfois beaucoup de temps, avant que ces mouvements irrépressibles perdent de leur force et que la conscience puisse s’instiller à l’intérieur pour les désamorcer. C’est ici que la persévérance et la confiance sont nos plus grands atouts. Quand nous ne pouvons pas changer les choses tout de suite, le seul moyen est de continuer et de laisser la conscience à l’intérieur de ces mouvements aussi longtemps que nécessaire, jusqu’à ce qu’un changement émerge. Sans forcer. Dans ce laps de temps, notre clarté voit crûment ces mouvements et leur nature. Nous ne cherchons plus à leur donner du sens en les justifiant. Nous avons bien compris qu’il n’y a pas de sens, que des causes et conséquences. Nous ne pouvons désormais que constater l’ampleur de ce qui se déroule en nous dont nous n’avons pas le contrôle. Alors nous développons une résilience de plus en plus profonde, au fil des prises de conscience du marasme intérieur dans lequel nous cherchons instinctivement à sortir la tête pour survivre.

Un de ces mouvements subtils irrépressibles est engendré par le besoin de « se préserver d’un monde perçu insupportable », heurtant. Peut-être êtes-vous soumis à ce besoin sans en avoir pris totalement conscience ? Je ne sais pas, mais vous vous savez.
Ce mouvement subtil a pu engendrer des mouvements plus grossiers tels que la colère, le besoin d’indépendance, l’agressivité, l’attaque, le rébellion, le besoin de grossir pour être fort, la boulimie, la méfiance. Tout est perçu comme un risque probable. Il faut contrôler pour maintenir une situation où nous nous sentons en sécurité et surtout éviter que « ça parte en vrille ». Alors nous sommes en état d’alerte quasi constante, et le moindre écart, le moindre grain de sable devient la cause de notre levée de bouclier et de la mise en branle de nos armes pour partir au combat, avec nos paroles, nos pensées ou nos actions. Et chacun va faire cela en fonction de son karma, de ses qualités, de ses tendances habituelles, de son niveau de conscience…
En introspection, la source d’un monde prétendument insupportable peut être perçue oomme suit. C’est un exemple. Bien sûr que chacun aura une représentation qui lui sera propre. Fermez les yeux et visualisez l’univers avec une faille. Dans cette faille, un organisme vivant, vibrant. Il perçoit l’univers qui s’étend à perte de vue depuis les contours de la faille et cet univers est si immense, si puissant, si changeant, si manifestant (créant toute sorte de manifestations) que c’est trop pour cette petite faille qui ne peut composer avec cet illimité. Alors le coeur de la faille observe avec crainte et défaitisme l’univers et cherche à contrôler que rien ne vienne perturber l’intérieur de la faille. Quand quoi que ce soit vient à son contact, c’est le rejet immédiat. Surtout ne pas perturber le fragile équilibre de la faille.
Imaginez ce qu’une personne ayant cette représentation au fond d’elle-même peut vivre au quotidien. Et imaginer la libération qui adviendra une fois la faille dissoute à force d’introspection et d’acceptation. « C’est ainsi. Tout va bien. Tu n’as rien fait de mal. Tu peux maintenant accueillir toutes les manifestations de l’univers car la sagesse est suffisamment forte et stable désormais. Tout va bien. Tu n’as plus à avoir peur. »
La libération de ce mouvement subtil de « se préserver du monde perçu comme insupportable » amènera de la patience là où il y avait auparavant urgence à réagir, de l’humour là où il y avait de la sévérité, de la diplomatie là où il y avait des mots tranchants, du lâcher-prise là où il y avait de la saisie, de la tolérance là où il y avait des « il faut », de la souplesse là où il y avait de la rigidité, du « peu importe » là où il y avait de la rumination.

Une des conséquences possiblement engendrée par le besoin de « se préserver d’un monde perçu insupportable » est la création de rôles ou plus exactement de façon de « faire genre » pour composer face à ce monde et donner l’illusion de. Là encore, c’est un exemple. Bien sûr que chacun aura développé une stratégie de défense qui lui sera propre.
Qu’est-ce qui fait que vos mots dépassent vos pensées et que vous réagissiez toujours pareil bien que vous vouliez arrêter ? Qu’est-ce qui pousse à gonfler la poitrine et hausser la voix quand vous vous sentez dévalorisé ou non respecté ? Qu’est-ce qui continu à argumenter alors que vous savez que c’est inutile ? Qu’est-ce qui veut se cacher et éviter la situation alors que la sagesse sait qu’il faut s’y confronter ? Qu’est-ce qui pérore et souhaite être vu alors que l’on sait que c’est ridicule et enfantin ? Qu’est-ce qui se fait grossir (comme la grenouille voulant devenir boeuf) pour paraitre impressionnant et prendre le dessus ? Qu’est-ce qui fait le clown pour redonner l’illusion de joie ? Qu’est-ce qui devient autoritaire alors que la douceur serait plus bénéfique ? Qu’est-ce qui est insatisfait et se plaint alors qu’objectivement les conditions sont déjà plus que bonnes ? Qu’est-ce qui dit souvent « je ne sais pas » et ne trouve plus comment avancer ? Qu’est-ce qui rit pour cacher le fait d’être décontenancé ? Qu’est-ce qui se justifie alors que ça sait avoir tort ? Et tant d’autres.
Oui, nous faisons tous genre à certains moments de notre vie. Nous pouvons même faire genre la quasi totalité de notre vie si nous ne prenons pas conscience de notre mode de fonctionnement. Les mouvements irrépressibles agissent alors sans contre-pouvoir en nous. En posant notre conscience à l’intérieur, la libération, mouvement par mouvement, se fait.
Une des façons possible de libérer ces rôles et ces « faire genre » à l’œuvre est de les voir émerger du plexus solaire. Le plexus solaire est le centre de la sympathie et de l’antipathie envers le monde. C’est ici également qu’il y a l’idée que nous nous faisons de nous-même, de notre rôle et de notre rapport au monde. C’est ici que nous créons les personnages que nous voulons incarner. En nous posant sur le plexus, si notre niveau de conscience est suffisamment subtil, nous pourrons voir le plexus initier un nouveau rôle « faire genre de ». Cela prendra peut-être la forme d’un substrat (une forme énergétique qui pourra manifester différents comportements) se déployant dans notre corps, un peu comme un voile opaque venant se poser sur la source pur de notre être et agissant en ses lieu et place. Ce substrat est imprégné de nos karmas(1) et de nos kleshas(2) et ses réactions dépendent de nos karmas et kleshas. Une fois un substrat en place, il sera impossible de faire autrement, sauf à en être suffisamment conscient pour le voir à l’oeuvre en direct et laisser la conscience le dissoudre plus ou moins rapidement et plus ou moins entièrement.
Pour aller plus loin encore dans les libérations, il sera possible une fois la conscience suffisamment claire et stable, de se poser sur le plexus solaire et de dissoudre le programme même de construction de ces substrats « faire genre ». Cela ne sera possible que quand vous serez en mesure de vivre sans ces rôles pour protéger le soi. En conséquence, cela ne sera possible que quand le soi sera atomisé et qu’il n’y a plus rien à défendre. Alors, tout les artifices du soi pourront être dissous les uns après les autres. Leur base, le soi, ne sera plus là pour les maintenir et les retenir ensemble dans le but de se consolider et de perdurer. La véritable authenticité pourra advenir. La conscience pourra être dans le moment présent en lien direct avec les choses telles qu’elles sont.

Ce texte et ces pratiques de libération sont profondes et inaccessibles à la plupart des gens. Cela n’empêche de les garder dans un coin de sa conscience pour les avoir en perspective et se représenter un champ des possibles bien plus vaste et profond que ce à quoi chacun a accès présentement.

J’ai fait de mon mieux pour être clair et compréhensible. Ce texte témoigne de mes libérations des jours passés. Puisse-t’il être une source d’inspiration bénéfique. Sinon, oubliez-le.

Trinley Drolma / Christelle Hauteville-Chadorla


(1) Karma : tendances résiduelles inconscientes à la base de notre personnalité et de notre devenir. (2) Kleshas : émotions perturbatrices racines à l’origine de nos perceptions erronées.

 

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Christelle Hauteville Chadorla

L’alliance de 2 belles cultures, française et bhoutanaise, unissant raison, spiritualité et sagesses bouddhistes, pour plus de lucidité et de conscience.

Egalement :
– Thérapeute, coache et formatrice en Libération émotionnelle, mentale et karmqiue, Enseignante en psychologie, philosophie et méditations bouddhistes à « Harmonie & Croissance intérieure » (site harmoniecroissance.com)
– Fondatrice, gérante, guide de méditation et soutien linguistique pour les enseignements philosophiques au centre culturel bouddhiste (site chadorla.fr)

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