Sentiment de déconsidération (Roue du Samsara)

Aujourd’hui, je voudrais illustrer concrètement l’émotion perturbatrice de la colère, dans sa déclinaison de supposée malveillance à notre égard et de se sentir déconsidéré. Je prendrai exemple sur mes propres libérations émotionnelles réalisées en novembre dernier. Mais d’abord, j’invite ceux ne connaissant pas les 6 mondes et les 6 kleshas à lire le rappel en bas de page(1). Nous pourrons alors poursuivre.

Certains parmi nous souffrent de la klesha de la colère certainement sans mettre ce mot dessus. Nous en souffrons d’ailleurs quasi tous à des degrés différents. En faisant un parallèle avec l’astrologie, les plus impactés sont les vierges et balances suivis des scorpions et sagittaires puis des autres signes. C’est évidemment plus complexe, mais ce point de repère est juste.

Dans son expression, la colère peut-être froide, intériorisée, cynique, utilisant le silence pour prendre de la distance, le contrôle pour prendre le pouvoir ou l’humour et les vannes pour « bâcher », « se défouler » et « vider le trop plein ». Cette colère agira souvent à retardement, parfois en dehors du contexte initial. L’expression de la colère peut aussi être chaude, extériorisée, cinglante, aveuglée, réactive, haussant le ton rapidement pour marquer sa désapprobation et son refus, exprimant sa rage ouvertement. Dans les 2 cas, la colère est le signe (bien souvent inconscient) qu’une main tendue est recherchée, main qui pourra aider à sortir de ce sentiment permanent de déconsidération et de manque de respect(2). 

La colère n’exclut pas la sagesse. Pour un esprit entrainé et clair, la sagesse voit la colère monter sans pouvoir l’arrêter. La sagesse sait que ces sentiments de déconsidération, de brimade, de rejet ne sont pas forcément causés par une situation réelle de brimade ou rejet, elle ne peut cependant pas s’en extraire. Quand la colère s’est élevée, il devient difficile à la sagesse de voir clairement. L’autre a-t’il réellement dit / fait cela ou est-ce mon interprétation ? L’esprit est balloté entre raison (mentalisation), sagesse (connaissance pure des choses) et ressenti perturbé (interprétation selon les émotions perturbatrices à l’œuvre à ce moment là). La confusion est forte et quasi systématiquement l’interprétation l’emporte au détriment de la sagesse. Avec l’entrainement à la méditation introspective (Vipassana) notamment, nous pouvons devenir érudit sur nos émotions, nos tendances et nous pouvons l’une après l’autre les libérer. J’en viens à cela maintenant.

Voici une illustration de la colère et de son impact sur la perception et l’interprétation d’une situation. Après deux projets concernant l’animation de Cafés philo avortés par des personnes se désistant sans avoir la politesse de m’en parler, je me sens non considérée, non respectée dans ce qu’il y a de plus important en moi : la sagesse et sa transmission. Le deuxième projet, en octobre, était avec une association pour handicapés. J’apprends par un bénévole que mon approche philosophique (sagesse bouddhiste) ainsi que la mise en avant de la responsabilité individuelle, de l’ouverture au multiculturalisme et de l’inclusion ont été mal perçues. Ma raison comprend la responsabilité de l’association conduisant à la prudence, à éviter tout sujet sensible pouvant faire polémique et à avoir une interprétation stricte et non inclusive de la laïcité (une vision de la laïcité qui finalement exclu du champ de la société civile des philosophies non judéo chrétienne). Ma sagesse sait que mon approche  philosophique profonde, orientale, multiculturelle et inclusive peut faire peur et être « trop » pour des personnes habituées à raisonner à environnement constant. Il en est tout autre de la colère naissante en moi, générant les interprétations et perceptions suivantes.

  • Le sentiment de discrimination : on me rejette car ma philosophie n’est pas uniquement basée sur la culture judéo-chrétienne.
  • Le sentiment d’injustice : une association pour handicapés mettant en tête de ses valeurs l’inclusion des handicapés dans la société et l’acceptation des différences, me rejette parce que je suis différente et que j’amène un regard différent sur son monde.

Des images ont alors été révélées en méditation, ce qui a permis leur libération.

  • Etre traitée comme un chien avec l’image intérieure d’un chien cherchant à entrer dans une maison à qui l’on dit « va t’en, t’es pas beau, t’es tout sale ». On le frappe à coup de balai. Ce chien est penaud, triste, et pleure dans la cour, rejeté. Il ne sait pas pourquoi l’entrée dans la maison lui est refusée. La libération a pu être faite à partir du moment où le ressenti du chien a été clairement identifié. J’ai réalisé qu’il n’avait pas de lien avec ma réalité actuelle mais se réactivait quand la colère interprétait une situation par «  tu n’entres pas » et « être traité comme un chien ».
  • Etre punie avec l’image intérieure posée sur mon dos d’un jeune homme, face au mur, les mains sur la tête. La libération a pu être faite en demeurant dans cette image et en récitant « Tout va bien, tu n’as rien fait de mal, la punition est levée ».
  • Etre repoussée avec l’idée « on ne veut pas de moi » avec l’image intérieure posée sur mon thorax d’une fillette prostrée dans le noir. La libération a pu être faite en me posant dans cette image et en récitant « Tout va bien, tu n’as rien fait de mal, tu peux sortir de là, tu ne risques plus rien, tu es protégée ».
  • Etre déconsidérée et rejetée malgré le fait d’avoir tout fait pour me comporter en « bonne personne », avec l’image intérieure d’une femme priant et faisant la requête de renaitre humaine. La libération a pu être faite en voyant la cause du souhait de renaitre humaine (désir de faire partie de ce monde) et ses conséquences en terme de sur-adaptation et de « chercher à faire comme ». Mais aussi grâce à la compréhension de mes illusions sur ce monde et le bonheur prétendument atteignable par la conformité.
  • Etre incapable de « faire partie » avec l’image intérieure d’un esprit un peu fantomatique, coincé en bas dans le noir, entouré d’autres esprits fantomatiques esseulés en enfer et regardant en haut pour y voir la lumière, les humains, les dieux vivant et inter-agissant ensemble. Je voulais ce bonheur et j’aspirais à sortir du bas pour aller en haut. La libération a pu être faite en demeurant dans cette image esseulée et dans le désir de faire partie des mondes d’en haut. J’ai réalisé qu’il n’y avait pas de bas ni de haut. Cette supposée séparation m’empêchait d’être dans la lumière et de faire partie.

Cette toute dernière libération a été fondamentale à plusieurs titres. Rien n’est plus comme avant.

  • Perception totalement différente de ma vie, des décisions et choix effectués avec la prise de conscience de l’impact des sentiments et images intérieures décrites ci-dessus. J’ai vu combien l’image « ne pas faire partie » m’a fait m’éloigner, quitter, refuser certains postes à plus hautes responsabilités notamment. J’ai vu mon raisonnement faussé et mes justifications soit disant rationnelles alors que je ne pouvais tout simplement pas en faire partie, non par choix ou incapacité, mais du fait des kleshas. Je vois aussi les compétences que je m’attribuais et je les mets en perspective avec le sentiment de déconsidération. Je vois chaque fois que je me suis sentie repoussée et en même temps je vois comment toute mon énergie créait une séparation, une distance. Tout ceci est une excellente illustration concrète du karma.
  • Emergence de la honte et perte de la confiance en moi causées par les prises de conscience du point précédent. Après plusieurs jours, je réalise que la honte n’est qu’une déclinaison de l’orgueil alors je m’installe à l’intérieur. La libération advient par l’acceptation de toute ma vie et surtout la non identification. Ce n’est pas ma vie, c’est La vie. Toutes ces émotions ne me définissent pas, elles ne sont que l’expression du karma, des samskaras et des kleshas. C’est le lot de chacun. La non identification apporte la paix avec ce qui est. Oui, tout cela a été. C’est ainsi. Ce n’est plus. 
  • Transformation de mon noyau dur (esprit primordial ou alaya vijnana) qui a d’abord été comme détruit. Il a comme disparu. Je me suis sentie sans fondement, sans repère. En me posant dans mon coeur, tout était inexistant, sans vie. Point de lumière. Point d’obscurité non plus. Rien. Mais pas de vide non plus. A mi décembre (libérations effectuées courant novembre) je sens que l’esprit primordial se régénère. Il est parti d’un substrat demeuré inerte plusieurs semaines. A ce jour, une conscience ténue se fait jour, lentement, comme un jardin qui reprend vie après une éruption volcanique. A voir pour la suite.
  • Mise en suspend de mes activités de libération émotionnelle, mentale et karmique pour vivre au jour le jour, sans chercher à atteindre quelque chose. Je prends conscience que ces activités ont été créées entre autre pour faire émerger cette dernière libération. Je ne peux plus les pratiquer sous cette forme. Elles sont la conséquence d’un désir de libération qui n’existe plus en moi. Ce que deviendra l’alaya vijnana déterminera certainement le devenir de ces activités.

Je présume que ce texte peut-être ardu pour certaines personnes éloignées de cette philosophie bouddhiste ou tout simplement ayant une compréhension, des aspirations et pratiques méditatives différentes. J’ai essayé de rendre cette étape fondamentale dans mes libérations et de mon chemin de liberté intérieure la plus éclairante possible. J’ai également souhaité illustrer une mise en application concrète et libératrice de la roue du Samsara. Mais peut-être tout cela n’est compréhensible et n’a de réalité que pour moi, en mon for intérieur. Alors ne cherchez pas et suivez votre propre chemin.

Christelle Hauteville-Chadorla 

____________________

(1) Dans la sagesse bouddhiste, il existe un enseignement portant sur la roue du Samsara, autrement nommée la roue du devenir. Cette roue est une représentation de toutes les souffrances poussant à naitre et renaitre dans tel ou tel monde, avec des prédispositions spécifiques à chacun. Elle illustre également le processus à l’oeuvre en chacun menant à reproduire des schémas et des comportements similaires toute une vie durant et de vie en vie. On y parle de différents mondes où naitre et renaitre mais également des kleshas (émotions perturbatrices à la base de notre tempérament et de nos conditionnements) et des samskaras (tendances karmiques créées par la répétition des émotions perturbatrices et des intentions à l’origine de nos actes). Voici ces mondes avec les émotions perturbatrices associées.

  • Le monde des dieux et la souffrance de l’orgueil et de la trop grande importance apportée à soi amenant des difficultés à être en lien avec les autres, à se sentir content ainsi que la peur de chuter, tomber dans des mondes dits « inférieurs » plus difficiles. L’orgueil est la conséquence d’un esprit laissant la sagesse se rétrécir et se limiter à soi et son entourage.
  • Le monde des demi-dieux et la souffrance de la comparaison et de la compétition amenant la peur du déclin, la quête incessante de reconnaissance, la soif de victoire ainsi que la jalousie.
  • Le monde des humains et la souffrance du désir / attachement amenant le besoin irrépressible de satisfaire nos penchants et attirances jusqu’à l’addiction même nuisible. C’est aussi vouloir conserver près de nous ce que nous aimons sans pouvoir lâcher.
  • Le monde des animaux et la souffrance de l’ignorance, du manque de clarté et des comportements instinctifs de proie ou prédateur. C’est la peur d’être attaqué / dévoré. Tout cela engendre l’entêtement, l’absence de souplesse intellectuelle, la tendance à occulter certaines choses et à conduire son propre esprit dans le noir en y cherchant le calme mais n’y ressentant finalement que l’inconnu et ses angoisses. 
  • Le monde des esprits avides et la souffrance de l’insatisfaction chronique amenant à ne jamais apprécier ce que nous avons, à ne jamais trouver l’équilibre entre trop et pas assez, à souffrir même en ayant tout ce dont nous avons besoin, à garder pour soi par peur de manquer.
  • Le monde des enfers et la souffrance de la colère / malveillance amenant à se sentir repoussé, désaimé ou encore déconsidéré et brimé même si notre raison nous démontre l’inverse, à avoir peur d’être bridé dans notre liberté d’action et à attaquer avant pour l’éviter, à rejeter ce que nous ne pouvons contrôler.

(2) Petit rappel pour les néophytes et les autres : nous sommes tous soumis aux 6 émotions perturbatrices et aucune émotion n’est mieux qu’une autre sur le principe qu’elles sont toutes initiatrices de souffrances. De plus, nous sommes tous composés d’une multitude d’émotions, de qualités, de vertus, de forces, de faiblesses, de peurs, de sagesses… Donc être soumis à l’émotion de la colère est un fait et non une critique ni un jugement d’infériorité, ni une condamnation. Si à la lecture de cet article vous pensez « Heureusement que je ne suis pas comme ça » ou « je suis mieux que ça », c’est peut-être l’orgueil qui parle. Si vous pensez « Je ne fais pas partie de ça », c’est peut-être la klesha de la comparaison qui parle. Si vous pensez « Je veux aller ailleurs, ne pas rester là à lire ce texte», c’est peut-être la klesha du désir qui parle. Si vous pensez « Je ne comprends pas bien », c’est peut-être la klesha de l’ignorance qui parle. Si vous pensez « C’est n’importe quoi, je ne suis pas comme ça, ça va pas », c’est peut-être la klesha de l’insatisfaction chronique qui parle. Si vous pensez « Quelle souffrance, c’est totalement moi » ou « N’importe quoi, ça m’énerve », c’est peut-être la klesha de la colère qui parle. Au fond, c’est la même chose avec les 5 autres émotions. Prendre conscience de nos 6 kleshas et les voir consciemment à l’oeuvre, les accepter, c’est le premier pas vers la libération.

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L’alliance de 2 belles cultures, française et bhoutanaise, unissant raison, spiritualité et sagesses bouddhistes, pour plus de lucidité et de conscience.

Egalement :
– Thérapeute, coache et formatrice en Libération émotionnelle, mentale et karmqiue, Enseignante en psychologie, philosophie et méditations bouddhistes à « Harmonie & Croissance intérieure » (site harmoniecroissance.com)
– Fondatrice, gérante, guide de méditation et soutien linguistique pour les enseignements philosophiques au centre culturel bouddhiste (site chadorla.fr)

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